Une mort assimilée à une défaite médicale ou à un épuisement existentiel

Un projet de loi favorable à l’aide active à mourir et au renforcement des soins palliatifs nous est annoncé au cours du 1 er trimestre 2024.
La loi ne sera pourtant jamais en capacité d’apaiser les représentations d’une mort dont on ne sait plus rien dire, embarrassante au point de ne plus savoir qu’en faire, assimilée à une défaite médicale ou à un épuisement existentiel.
Qu’en est-il d’une liberté et d’une dignité humaines dont on ne saisit plus que l’injonction à se désister d’une vie qui n’en serait plus une, du moins que la souffrance dégrade au point de ne plus permettre que le chemin d’une délivrance éthique par le recours à la mort donnée ?
Préserver la liberté d’une personne, c’est ne pas l’assujettir aux excès d’un principe de précaution incitant à estimer que les risques d’un « mal mourir » justifient l’initiative préventive d’une mort anticipée par précaution. C’est persister à penser qu’il est encore possible de réformer non pas les soins de la mort mais ceux de la vie, afin de parvenir à la quiétude d’un temps à vivre encore parmi les siens sans avoir le sentiment d’être coupable d’une obstination ou d’un acharnement à vivre inconciliable avec l’idéal d’un « bien mourir » médicalisé.

 

Valeurs de sollicitude dont nous sommes personnellement et politiquement
comptables

Que le médecin n’ait pas pour mission de ‘’s’acharner’’ à prolonger une survie par des moyens disproportionnés et puisse abréger, sans intentionnalité, le cours d’une existence du fait des conséquences collatérales de l’usage de substances ayant pour finalité l’apaisement de souffrances réfractaires, relève de l’engagement éthique du juste soin. Mais qu’il accorde la mort comme dernier acte d’un soin dont l’aboutissement serait envisagé dans l’exercice d’une médecine du mourir ou du faire mourir, interroge les fondements de la démarche médicale à laquelle le législateur attribuerait cette fonction ultime. 

Le soin par la mort donnée n’est ni un soin ni un don – qu’il soit arbitré collégialement en réponse à la demande explicite et réitérée de la personne, exceptionnel, compassionnel et légalisé. C’est un acte intentionnellement létal.            

Mon attachement à l’esprit soignant qui s’oppose aux protocoles médicalisés de la gestion administrative de la mort donnée, témoigne des valeurs de sollicitude dont nous sommes personnellement et politiquement comptables. 

Saurons-nous encore comprendre demain la valeur et le sens d’une attention de vie ? 

Les législations en faveur du suicide assisté ou de l’euthanasie ont institué, dans certains pays dont nous allons prendre modèle, une conception du soin compris non plus seulement comme accompagnement d’un cheminement de vie jusqu’à son terme mais également comme dispositif organisationnel de sa mort.

Auprès de celui qui meurt, notre société est interrogée sur ce qu’elle est en vérité

Une confusion s’est insinuée entre ce qui relève des droits de la personne dans sa vie et ceux, d’une tout autre nature, qu’elle aspirerait à faire valoir dès lors que sa souffrance lui conférerait une reconnaissance et des droits qui lui sont trop souvent discutés dans le parcours du soin au cours de la maladie et lorsque le vieillissement affecte son autonomie.

Aucune loi, aussi libérale soitelle, ne permettra de surmonter ou de résoudre les dilemmes redoutés de notre confrontation à l’expérience intime et ultime d’une fin de vie. 

Avant de viser un consensus favorable à l’aide active à mourir, est-on assuré d’un consensus soucieux des valeurs humanitaires de l’assistance active à vivre ?

Penserait-on un instant débattre de l’opportunité de consacrer une législation à l’aide active à vivre ? Nous y trouverions pourtant de bonnes raisons pour repenser et réformer ce qui fait société, ce qui avive notre souci du bien commun. 

Être reconnu, respecté et accompagné dans un parcours de vie, avoir le sentiment d’appartenir à la communauté nationale et d’être digne de considération, n’est-ce pas l’espérance, le droit et l’assurance auxquels chacun d’entre nous aspire ?

La fin de vie d’une personne mérite mieux que l’octroi de la mort donnée comme ultime sollicitude d’une attention humaine.

Auprès de celui qui meurt, notre société est interrogée sur ce qu’elle est en vérité, sur ce à quoi elle est attachée, sur ses fidélités comme sur ses obligations, sur ce qui donne confiance ou contribue à la défiance.

À l’épreuve du réel et de ses défis redoutés, nous ne pouvons pas nous contenter d’affirmations de principe. Déléguer la responsabilité de la mort à un soignant dont ce n’est pas la mission, n’est pas la réponse attendue pour assumer en société les responsabilités d’un accompagnement digne des valeurs, des attentes, des choix et des droits de la personne.