Accompagner la personne pour lui permettre de vivre parmi nous les temps ultimes de son existence, c’est lui témoigner une reconnaissance, une présence qui préserve son sentiment d’appartenance à la communauté humaine et d’y être respectée. C’est mobiliser nos solidarités et les compétences nécessaires afin de la prémunir de toute forme de souffrance ou d’indignité. Accompagner, c’est résister avec elle et ses proches à la tentation du renoncement anticipé, aux négligences et aux maltraitances, aux mentalités de l’abandon, de la désertion ou parfois du consentement à la mort donnée par compassion.

Accompagner une personne ce ne sera jamais abréger sa vie. L’État ou le législateur n’y changeront rien, y compris en se trompant eux-mêmes par un usage dévoyé du sens des termes qu’ils veulent imposer comme s’il s’agissait de nous rassurer dans le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Les « soins d’accompagnement », les « droits des malades » n’ont pas comme option l’assistance médicale à mourir. Les soins palliatifs ne sont ni la caution ni l’alternative des protocoles de l’acte létal. Établir ce constat c’est en appeler à la clarté et à la loyauté que mérite la rupture éthique et déontologique que la loi légitimera.

Depuis les années 1980 la philosophie de l’accompagnement et de l’engagement soignant est pensée et mise en œuvre en dialogue avec la personne par les professionnels et les membres d’associations intervenant en soins palliatifs. Ils ont réhabilité l’humaniste du soin dans un contexte où la médecine hospitalière impuissante à guérir s’exonérait de ses devoirs auprès de la personne laissée à sa mort ou en préconisant pour « sa délivrance » la pose à son insu d’un cocktail lithique.

Les soins palliatifs ont initié dans notre pays une culture de l’accompagnement qui concilie le souci de la personne, de ses valeurs et de ses droits fondamentaux avec l’exigence d’un soin relationnel attentif et compétent. S’accorder à sa volonté et à ses besoins est une forme d’assistance humaine et fraternelle qui confère au soin un sens et une fonction dont aucun raisonnement sérieux n’autoriserait à concevoir la moindre communauté de pensée avec les pratiques du suicide médicalement assisté ou de l’euthanasie.

Dans les établissements sanitaires ou médico-sociaux, au domicile également, l’expertise des soins palliatifs s’est développée tout d’abord aux marges des pratiques conventionnelles rétives, a priori, à l’approche de la personne malade dans son histoire et son autonomie décisionnelle au-delà de sa maladie. La démocratie en santé instituée dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s’inscrit dans cette vision d’un renouveau de l’éthique du soin soucieuse de reconnaître à la personne une dignité qu’aucune considération ne saurait bafouer.

En situation de décision complexe, la culture palliative s’est imposée pour étayer les arbitrages et proposer des lignes de conduite lorsque les circonstances ne permettaient plus de poursuivre une stratégie thérapeutique à visée curative sans abolir pour autant l’accès à d’autres chemins d’accompagnement soignant.

Le dernier acte de soin doit être un soin

« L’accompagnement des malades et de la fin de vie » auquel est consacré le projet de loi propose deux conceptions opposées de la « réponse aux personnes, aux malades et à leurs aidants, à leurs familles et à leurs proches ». Le « modèle français » promu par le Gouvernement vise à proposer une synthèse, une forme de continuité ou de complémentarité dans l’accompagnement alternatif des soins palliatifs ou de l’assistance médicale létale. Il convient de lever les ambiguïtés et d’exprimer clairement que les soins qui accompagnent la personne malade jusqu’au terme de sa vie relèvent d’une éthique de la responsabilité qui diverge des procédures légalisées d’une assistance médicalisée au suicide ou à l’euthanasie. Que l’on décide d’y consacrer une prochaine législation est un choix de société et une volonté politique. Mais que chacun assume en conscience sa position sans invoquer l’accès universel aux soins palliatifs comme condition ou caution de l’acceptabilité d’un homicide médical légalisé contraire et non pas alternatif à l’éthique des soins palliatifs.

Que certains médecins considèrent en conscience leur engagement jusque dans la responsabilité de consentir à abréger la vie d’une personne sur demande, justifie que des repères soient posés tant les équivoques risquent d’être préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade par nature en situation de haute vulnérabilité. Le dernier acte de soin doit être un soin. L’aide à mourir peut être légitimée comme un acte d’ultime compassion qui n’a rien d’une pratique soignante, ce qui pour autant ne le disqualifie pas de la valeur humanitaire que l’État souhaite lui attribuer en cas de circonstances exceptionnelles.

Le geste létal d’un médecin rompt un soin ; il ne l’achève pas

Il est évident que le dispositif d’accès universel aux soins palliatifs est d’une complexité organisationnelle et d’un coût sans rapport avec la décision administrative – à la suite du vote de la loi – de doter des professionnels de santé des procédures permettant d’accéder à l’usage d’une substance létale après avoir validé la recevabilité administrative d’une demande d’aide à mourir.

Au moment où le service public hospitalier vit une crise qui limite l’accès à la prévention, aux traitements et au suivi médical, que le secteur médico-social est, pour nombre d’établissements, en situation de mort clinique, que les professionnels des soins palliatifs sont démotivés par des annonces paradoxales qui les inquiètent au point que nombre d’entre eux envisagent de renoncer, est-il crédible d’affirmer qu’avec les moyens financiers dégagés sur les prochaines années en faveur de la démarche palliative chaque citoyen aura enfin la possibilité d’exercer son droit optionnel aux soins palliatif ou à l’aide à mourir ?

C’est dire qu’il serait sage et décent de ne pas donner à croire que les conditions d’accès aux soins palliatifs sans entrave assureraient que la demande d’aide active à mourir ne procéderait que d’une demande volontaire. Il est inexact d’affirmer qu’aucun déterminant idéologique, normatif, socio-économique ou simplement d’accessibilité aux soins et aux sollicitudes du quotidien n’influence une législation favorable à l’aide à mourir. L’application de la loi relative à l’aide médicale à mourir adoptée au Canada 17 juin 2016 est l’une des démonstrations inquiétantes d’un détournement de l’euthanasie à la régulation de circonstances humaines et sociales sans rapport avec la fin de vie.

Il ne s’agit pas d’opposer la culture euthanasique à la culture palliative, une controverse me semble-t-il dépassée même si ce qui les distingue concerne une idée divergente de nos devoirs d’humanité. Toutefois il est tendancieux d’affirmer que l’évolution législative décidée parviendra au même respect des droits des personnes sollicitant l’accès à l’accompagnement des soins palliatifs ou alternativement au protocole de l’aide médicale à mourir.

Le geste létal d’un médecin rompt un soin. Il ne l’achève pas.