« Vers un avenir sans sida ? » est l’accroche retenue pour le Sidaction 2023. À quelles promesses, à quelles résolutions un « avenir sans sida » nous engage-t-il ? Sommes-nous à hauteur d’un tel défi lorsque la discrimination dans l’accès aux soins s’ajoute à d’autres sentiments d’exclusions qui fragilisent notre pacte social ?

L’un des messages diffusé par l’ONUSIDA le 1er décembre 2020, Journée mondiale du sida, aurait dû interpeller chacun d’entre nous : « Imagine que tu ne pourrais pas avoir accès aux soins qui pourraient te sauver la vie. » Les militants des années sida ont soutenu dans leur combat l’exigence de justice et de solidarité, y compris dans le domaine de la santé publique auxquels ils ont conféré une portée politique.

« Vers un avenir sans sida ? » est l’accroche retenue pour le Sidaction 2023. À quelles promesses, à quelles résolutions un « avenir sans sida » nous engage-t-il ? Sommes-nous à hauteur d’un tel défi lorsque la discrimination dans l’accès aux soins s’ajoute à d’autres sentiments d’exclusions qui fragilisent notre pacte social ?

Dans les années 1980, les militants de la lutte contre le sida ont mis en œuvre et imposer, dans le cadre d’une mobilisation sans précédent dans le champ de la santé, une éthique de la responsabilité et de l’engagement. Pour des raisons inavouables jusqu’en 1986, les pouvoirs publics n’avaient pas considéré comme relevant de leurs missions ce devoir de solidarité. On pourrait même ajouter à ce constat, que l’homosexualité et les toxicomanies suscitaient une hostilité moralisatrice peu compatible avec la reconnaissance des droits de la personne en situation de vulnérabilité face au VIH.

D’évidence, si les pays industrialisés n’avaient pas été confrontés à cette première pandémie de l’histoire moderne, la recherche de traitements ne serait pas parvenue à des résultats concluants une dizaine d’années après l’identification du virus avec les trithérapies.

C’est ainsi, il y a quarante ans, que s’est développée cette dynamique d’une mobilisation des consciences relayée plus tard par des politiques publiques. Elle a permis d’inventer un nouveau modèle de santé publique inspiré par la culture des droits de l’homme, et d’élaborer un mode d’action inspiré des principes de la vie démocratique.

Directeur de 1986 à 1990 du programme global sida de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Jonathan M. Mann me confiait à Harvard, peu de temps avant sa mort en 1998 : « Nous savons qu’un monde où sévit une pandémie ne peut être un monde sûr. »

L’approche communautaire en termes de prévention et de soutiens développés jusque dans les régions du monde les plus économiquement démunis, dépourvus du recours à un système de santé dotés de capacités à hauteur du défi, a permis d’imposer d’autres règles à la solidarité internationale.

D’autres modalités ont prévalu dans la prise en compte des urgences humaines et sanitaires, dans l’attention portée à la parole des personnes directement concernées. La Déclaration sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique du 14 novembre 2001 constitue à cet égard l’une des avancées majeures, puisqu’elle favorisait l’accessibilité aux traitements du VIH-sida dans les pays en situation de fragilité économique : « Chaque membre a le droit de déterminer ce qui constitue une situation d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence, étant entendu que les crises dans le domaine de la santé publique, y compris celles qui sont liées au VIH-sida, à la tuberculose, au paludisme et à d’autres épidémies, peuvent représenter une situation d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence. »

Cette culture du « vivre avec la maladie » s’est transposée à d’autres maladies, les états généraux du cancer en 1998 marquant de ce point de vue une avancée qui contribuera à l’avènement de la démocratie en santé.

Dans les années 1980, il est apparu évident que la lutte contre le sida ne serait efficace et tenable que si chacun y était associé et en saisissait les enjeux. Outre la mobilisation associative exemplaire, à l’époque une des innovations majeures de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) aura été de soutenir une recherche-action remarquable dans le champ des sciences humaines et sociales. C’est ainsi, par une intelligence du réel, que s’est constitué un rapport de confiance entre la société, les experts et les responsables de la santé publique. Ce pacte de confiance s’est avéré indispensable à la mise en œuvre des politiques publiques en termes d’information, de prévention, d’accès aux soins et de soutiens pour vivre au quotidien avec la maladie. La constitution de réseaux de solidarité au plus près des réalités de terrain a en effet permis de préserver les liens sociaux et la cohésion nécessaire à une action concertée. Cette culture du « vivre avec la maladie » s’est transposée à d’autres maladies, les états généraux du cancer en 1998 marquant de ce point de vue une avancée qui contribuera à l’avènement de la démocratie en santé.

Dans les années 1980, face à la pandémie du VIH-sida les personnes malades ont en effet inventé avec des professionnels la démocratie sanitaire consacrée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Notre démocratie en santé est issue de ces combats. Qu’en fait-on aujourd’hui alors qu’elle devrait être considérée par les instances gouvernementales comme une force d’appui indispensable tant dans l’arbitrage des décisions que dans leurs stratégies d’implémentation ?

Le Conseil national du sida et des hépatites a été créé le 8 février 1989 et étendu aux hépatites virales le 24 février 2015. Le 7 juillet 2021, il publiait son analyse « Droits et épidémie. La lutte contre le VIH/sida : une démarche, des savoirs et des pratiques pour servir aux enjeux du présent ». Son analyse apparaît incontestable et pertinente, pourtant les instances publiques n’y ont pas accordé la moindre attention : « En dépit de ses singularités, l’expérience de la lutte contre le VIH/sida peut aujourd’hui faire école compte tenu de défis communs soulevés par les épidémies, en particulier l’urgence, l’incertitude et l’émotion ainsi que la nécessité de bâtir une réponse éthique, internationale et solidaire. Par le passé, cette expérience de la lutte contre le VIH/sida a bénéficié aux stratégies et actions menées contre les virus des hépatites B et C dans les domaines de la recherche, de la prise en charge et de la réponse internationale. »

« Vers un avenir sans sida ? » Le défi constitue certainement une juste visée. Mais au-delà de l’intention, qu’en est-il du présent de nos politiques de santé publique tout particulièrement à l’intention des personnes les plus vulnérables à toute forme de discriminations sur les territoires marginalisés de la société, là où l’accès aux soins relève trop souvent d’un privilège.

Le 24 octobre 2020, la Défenseur des droits affirmait : « À l’heure où il est de plus en plus probable que nous devrons apprendre à ʺvivre avecʺ le virus pendant une longue période, il est nécessaire de construire des réponses adaptées, durables, respectueuses des libertés, en sortant du diktat de l’urgence. Cela suppose, encore une fois, un débat ouvert, impliquant l’ensemble de la société. »

« Vers un avenir sans sida ? » Le défi constitue certainement une juste visée. Mais au-delà de l’intention, qu’en est-il du présent de nos politiques de santé publique tout particulièrement à l’intention des personnes les plus vulnérables à toute forme de discriminations sur les territoires marginalisés de la société, là où l’accès aux soins relève trop souvent d’un privilège. Cette exclusion accentue le sentiment d’injustice et d’exclusion sociale, de perte de dignité, au moment même où notre pays témoigne d’un cumul de souffrances ressenties à la fois comme du mépris et un déni de démocratie.

Qu’a-t-on fait de l’exemplarité démocratique des années sida ?