Fin de vie : un processus de fragilisation de la société civile

par | Mai 25, 2025

Emmanuel_Hirsch
25 Mai, 2025

Ouest France, 20 mai 2025

Dès la révélation par Le Figaro le 13 décembre 2023 du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie nous comprenions qu’était engagé un processus délibéré de division et de fragilisation de la société civile, là même où demeuraient encore ses valeurs essentielles. Nous ne pouvions pourtant pas anticiper le dédale du parcours erratique de ce qui relève depuis le 11 mars 2025 de deux propositions distinctes de lois relatives aux soins d’accompagnement de la vie et aux pratiques médico-légales appliquées au suicide assisté ou à l’euthanasie. Le président de la République voulait disait-il apaiser et être inventif d’un chemin vertueux qui concilie l’exigence d’une médecine de la bienveillance, du respect de la personne dans sa dignité et ses droits, avec le souci de ne pas négliger la souffrance qui, en quelques circonstances exceptionnelles, est ressentie insupportable au point de vouloir l’abolir. Au prix même, en dernier recours, d’y sacrifier ce qui persiste de l’existence.

Le constat de l’échouement d’une stratégie mise en œuvre pour nous convaincre que légiférer sur la mort provoquée était l’urgence politique qui rassemblerait la nation et la rendrait fière d’honorer un tel idéal de fraternité est une évidence difficile à nier. Nous l’observons avec d’autant plus de consternation que nous avions l’illusion de croire que la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir issue des travaux de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, serait discutée dans le contexte de débats au parlement favorables à énoncer quelques principes qui résistent aux outrances. Comment expliquer cette défaite et cette impuissance à comprendre ce déclin de notre attention aux fondamentaux qui font société et nous permettent de faire vivre ensemble des liens d’humanité qui donnent confiance et permettent de surmonter les plus hauts défis ? Comment admettre que si l’État décide d’intervenir en ce qui nous est à la fois le plus intime et s’enracine dans une culture investissant d’une responsabilité notamment auprès des vulnérabilités humaines et sociales, il se doit de le faire selon des règles irréprochables et avec l’humilité, la retenue et la décence indispensables à une démarche d’ordre moral ? Comment tolérer cette déraison et cette dérive à la fois dans l’usage tronqué de concepts et de termes dissimulés derrière des expressions perverties comme celle d’aide à mourir, certes plus recevable que celle de provocation de la mort, ou alors que l’on destitue de leur valeur. La rhétorique de la mort « dans la dignité », « dans la liberté », « dans l’autonomie », « selon son libre-choix », nous détourne de ce qu’est la vérité humaine de l’incertitude, des peurs, de l’errance thérapeutique, de l’isolement, de la relégation et de la précarisation éprouvés par la personne malade, en situation de handicap ou très âgée, ainsi que ses proches. Au point de désespérer de tout, de ne plus croire en soi et aux autres, et de comprendre que l’ultime compassion dont témoignera la société serait celle de la mort donnée.

Notre société est prise en otage par des controverses qui appauvrissent nos solidarités, accentuent les défiances et le sentiment d’arbitraire dès lors qu’il est désormais démontré qu’aucun critère n’est susceptible d’encadrer strictement des pratiques médicales létales que la loi inscrira au rang des bonnes pratiques du soin. Le président de la République est lui aussi l’otage d’un engagement qu’il avait pris en y escomptant le bénéfice d’attacher son quinquennat à une loi « de société » qui contribuait à son projet de refondation de la République. Il propose même d’envisager un référendum comme dernière option qui pourrait éviter un naufrage parlementaire. Mais ce qui est tout aussi redoutable et qui ne peut que nous indigner, c’est que parmi nous les personnes les plus vulnérables si dépendantes de nos choix ou de nos renoncements politiques, n’ont jamais été aussi fragilisées dans ce qu’elles perçoivent des débats actuels au parlement. Leur cause sera-telle encore digne d’être respectée, leur vie digne d’être reconnue comme inaliénable, dès lors que le législateur conviendra des dispositifs permettant d’autoriser la mort provoquée à la demande de la personne qui en fait ne supporte plus la souffrance d’exister parmi nous, de subir cette incompréhension et ce mépris ?

Emmanuel_Hirsch
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